Adresse à la gauche servile


Libraires, intermittents, professeurs, vous êtes dangereux. Pas subversifs. Dangereux. Et pourtant la police ne vous craint pas. Moi, si.


Vouloir être essentiel, et considérer qu’être essentiel c’est travailler, cela vous rend inoffensifs aux yeux du Capital. Quant à nous autres, qui cultivons l’ironie et l’inactivité, vous nous êtes infiniment menaçants. Demander l’aval et l’approbation d’un gouvernement qui vous met à terre, c’est dangereux. Ne penser votre existence qu’à travers l’exploitation de votre temps, c’est dangereux. Vous plier en quatre pour trouver des solutions qui nous plongent toujours plus loin dans le bourbier au lieu de tout foutre en l’air, c’est dangereux. Être de bonne volonté, bons petits soldats méritants, c’est dangereux. Vous pensez être des incarnations de la  gauche, mais vous êtes des modèles de servilité. 



Cela fait quelques mois que je vous écoute attentivement et je me demande : qu’est-ce qui s’est passé dans vos petites têtes bien faites pour que vous vous sentiez obligés de prouver votre bonne volonté ?



  • Copains libraires qui vous êtes décrétés essentiels ! A quoi bon risquer votre vie en vendant des bouquins qui finiront par traîner sur les tables basses des maisonnées bourgeoises ? Leurs occupants en accumulent déjà ostensiblement des piles branlantes pour se rassurer sur leur capital culturel. Un peu comme les bourgeois de droite qui ne conduisent jamais les Maserati qui dorment dans leur garage. Ne les encouragez pas ! Même s’ils se répandent en de longues jérémiades sur l’importance sacrée de la culture, ils ne lisent pas le tiers de ce qu’ils achètent. C’est un produit de consommation comme un autre, les livres pour eux. Ne leur dealez plus leur dose de capital symbolique. Sevrez-les. Ne prodiguez plus vos précieux conseils et préservez votre dos. Restez à la maison. Résistez à l’appel de l’être-essentialisme. Quand dans quelques mois, on vous reprochera de ne pas ouvrir 7j/7 jusqu’à minuit, mettez le feu à votre échoppe, touchez l’assurance et envoyez balader votre fidèle clientèle.



  • Vous les bons élèves certifiés qui vous contorsionnez pour perpétuer la mascarade de l’enseignement à distance! Vous me direz : “Les enfants, ils ont besoin de nous”. Dans ces conditions-là ? Certainement pas. Vous êtes victimes de votre propre résilience. Vos élèves, dans les salles de classe ou derrière leur écran d’ordi figé, apprennent la leçon suivante : il faut accepter les conditions de travail les plus insalubres et anxiogènes. Allez, quoi, un peu de courage. C’est aux gamins que vous devez d’être de bons élèves, pas à votre hiérarchie. Passez aux aveux : s’ils ont huit heures de cours par jour, enfermés entre quatre murs, c’est premièrement parce qu’on calque leur éducation sur l’emploi du temps de leurs parents tout en les préparant à subir le même sort qu'eux. L’école comme antichambre du salariat, c’est bien ça que vous défendez quand vous continuez de bosser malgré les humiliations de votre ministère ? Allez, quoi, demandez un arrêt à votre médecin, envoyez des films à vos élèves, et piquez un somme bien mérité. En plus, si vous ne faites plus l’appel, impossible de supprimer les allocs aux familles des élèves sécheurs. En voilà un fier service rendu aux enfants de la République ! 



  • Comédiens saisonniers et clowns de grande surface ! Je vois que vous demandez l’autorisation de travailler. Je ne comprends pas bien. Il n’existe pas d’artistes sans ministre de la Culture ? Est-ce que vous avez été nourris à ce point-là par les subventions ? Au point d’avoir oublié que vous êtes libres de produire ce que vous voulez sans l’aval de personne ? Peut-être qu’il ne faut plus lier intermittence et production artistique alors ? Un synonyme en 4 mots pour le statut d’intermittent du spectacle ? J’en ai un : vacataire du divertissement culturel. C’est moins glamour, soudain. Quand, amis artistes, vous demandez l’autorisation de pratiquer votre art, vous vous soumettez à la mesure et à l’étude de votre utilité. Revendiquez le fait de n’en avoir aucune. Elle est là, votre liberté. Rejouez l’An 01 et diffusez votre travail partout dans les rues. Quand vous étiez gamins, vouliez-vous être artistes ou intermittents ? Bon ben voilà, soyez plus artiste et moins intermittent.


Vous tous, libraires, profs, intermittents, vous normalisez le discours de l’être-essentialisme. En vous condamnant au travail, vous nous arrachez au bonheur de la farniente. Arrêtez d’être des bourgeois ratés, vous allez toujours perdre à ca jeu-là. Qu’attendez-vous exactement ? La reconnaissance et une petite tape affectueuse sur l’épaule de la part du Grand Capital ? Vous ne l’aurez jamais. A défaut d’avoir une conscience de classe, ayez au moins de l’amour propre. 

J’entends que la conversion à la liberté soit difficile pour vous, mais j’ai peut-être une solution à vous offrir.

Quelque chose me dit que la question de la crise écologique vous préoccupe. Vous faites des cauchemars dans lesquels Pablo Servigne vous poursuit en parlant d’effondrement façon ASMR. Vous essayez de consommer autrement, mais les biscuits à l’épeautre de la Biocoop sont emballés individuellement dans du plastoc et le traitement des poubelles jaunes de votre municipalité est une vaste blague. Vous vous grattez la tête en voyant la ministre de la Transition écologique jouer au jury du “premier plat écolo” de Top chef . Vous avez comme l’impression de vous faire enfler par un discours vert vidé de sens. Vous voulez un monde meilleur pour vos enfants. Eh bien, n’en jetez plus, mesdames et messieurs ! Consommer autrement ne changera rien. La preuve : le capitalisme vert existe déjà. Et l’utilité des collapsologues se résume à gonfler la vente de tablettes de Xanax entre deux signatures en librairies. Si vous êtes vraiment sincères dans votre démarche, alors agissez sur l’origine du mal et arrêtez de produire, arrêtez de travailler, arrêtez de participer. La solution est toute simple : ne branlez plus rien. Ce n’est pas votre consommation “raisonnée” qui changera la donne, mais la chute de la production et l’inactivité. Moi j’ai une solution qu’elle est apaisante : demain matin, restez au plumard et touchez vous la nouille. Ce sera l’acte le plus subversif, menaçant et utile que vous puissiez faire. Vous remarquerez que je n’ai pas dit “acte citoyen”. Mon programme, si vous le suivez, c’est de casser les burnes au citoyennisme en se touchant les parties intimes. Si on vous demande ce que vous avez foutu de votre journée, répondez : j’ai contribué à sauver la planète. 






Commentaires

  1. Texte jubilatoire. Il a un défaut de taille cependant, dans la conclusion. Espérer une concordance de l'inaction pour détruire la productivité est tout aussi illusoire que de croire en l'addition des petits gestes individuels pour "sauver la planète". C'est aussi inopérant et puéril que d'attendre la mobilisation générale, pour un mouvement social de masse, illimité, qui viendrait à l'issue d'une prise de conscience individuelle... non, ça marche pas ton truc. Je trouve en effet que la gesticulation des "essentiels" est critiquable sur la forme des revendications et sur la lenteur de la globalisation d'une critique du capital, mais il n'y pas d'autres endroits que ces mouvements sociaux pour apprendre ensemble et collectivement à aiguiser nos esprits. Ce qui sera instructif pour tous, ce sera l'échec programmé de cette énième mobilisation, démonstration par l'absurde que l'horizon doit devenir radical et révolutionnaire.

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    1. Merci patoche, ton commentaire résume bien ce que la lecture de ce texte jubilatoire me donne à réfléchir. Depuis un mois d'occupation à plein temps, je n'attends ni ne demande rien à ce système en fin de course, je prends juste mon pied à faire autrement, avec le plaisir d'être et de faire autrement avec de nouveaux compagnons. Un apprentissage, une révolution intime qui portera forcément ses fruits un jour ou l'autre. Des instants de jouissance partagées si interne que j'en oublie même mes petites branlettes.

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  2. Merci pour ce texte.... On est cons, c'est vrai, de s'emmerder à essayer de lutter alors que la solution est simple... Ne rien foutre et faire des leçons de morale aux autres le cul sur son canapé....
    Mais oui, ce qui est dangereux ce sont évidemment ceux qui essayent avec leurs petits moyens de résister encore un peu dans l'apathie générale. Bien sûr.... Ça doit être réconfortant de se dire qu'on ne fout rien, mais attention, on sait manier l'ironie et justifier son inaction par une belle théorie ironique.
    Un mot en passant, il s'avère que je suis un occupant d'un théâtre et que je suis intermittent, même si il n'y a pas que des intermittents dans les théâtres en ce moment, mais aussi des précaires, des étudiants, des travailleurs d'autres secteurs que la culture.
    Un poil de recherche vous aurait permis de voir que les intermittents luttent en ce moment contre une réforme de l'assurance chômage qui ne les concerne pas eux... Et oui, on est loin du cliché des intermittents qui gueulent pour leur pomme cette fois, et peut être est-ce là aussi leur rôle d'artistes.
    Alors on fait comme on peut, certes maladroitement, sûrement pas assez nombreux, mais on lutte.
    Merci pour cette belle leçon de morale demoralisante....

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. Il manque un truc de ouf dans la liste : "(...) arrêtez de produire, arrêtez de travailler, arrêtez de participer" , il manque -> "arrêtez de respirer"

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  5. Merci pour ce texte essentiel...
    Je ne me lasse pas de le relire, surtout maintenant qu'on s'est bien accoutuméEs à la nouvelle forme de la merde ambiante, qu'on a bien accusé macron et surtout pas l'état, et qu'on retourne travailler avec bonne ou mauvaise conscience pour avoir le droit de rester chômeurEs jusqu'à la mort... Je l'ai envoyé à tout mon réseau de taf en espérant lancer un caillou dans la mare, ou une bouée c'est pareil, en me tirant une balle dans le pieds. Même ça, ça n'a pas marché. Pourtant, j'y ai cru à l'an 01, comme à chaque fois, et comme à chaque fois j'y laisse des plumes, en ressort encore plus isolé et je retourne à la mine pour pas me pendre et pour retrouver les gens que j'aime que le travail m'a volé. (spoiler ça marche pas non plus)
    Tout cramer, puis aller ou, pour faire quoi et avec qui? Hamlet's not dead
    Signe Zly Vlk, le nuage noir sur l'arc en ciel des bisounours

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    1. Mais tu deviens quoi, toi ? T'as disparu des réseaux !

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